Je vivais depuis longtemps dans une petite bulle, un petit jardin fermé à double tours, dont je me délectais inlassablement. J’ai choisi de devenir aveugle pour ne pas me confronter au monde extérieur. Littéralement, j’écrivais une poésie hors du monde et m’échappais pour ne rien voir. Et subir. Subir coups sur coups, me confronter aveuglement à la violence et les coups bas. J’ai laissé les autres piétiner leur propre monde afin d’empiéter sur les autres, d’une puissance plus impressionnante en surface qu’elle ne l’était vraiment. Je n’ai rien dit lorsqu’ils se sont abreuvé des autres pour rester debout et éviter la peur de tomber et de se dévoiler.
Certains ont un don pour faire croire. Ce sont des magiciens de l’illusion, sans artifice, sans la moindre fantaisie. Je sais que je suis quelque peu responsable, quand je ne voulais voir que les apparences. Les plus gros mensonges m’étaient dissimulés, je me suis laissée berner bien trop longtemps. J’ai été un instrument. Mes cordes sensibles et ma discrétion, à bien des égards, ont été utilisées à mauvais escient par des magiciens de pacotilles. J’ai toléré sur ma route bien trop d’embûches.
Un psy dirait que ce genre de personne a un besoin constant de rassurer leur égo, tant leur blessure est profonde. De plus, ils sont très doués pour trouver ceux qui tiendront le rôle de sauveur, compensateur, souffre douleur… le problème est qu’ils sont un puits sans fonds, ils se noient sans cesse dans l’insatisfaction. Prisonnière, mais pas totalement endormie, je n’ai pourtant rien voulu voir dans mon sommeil et mes rêves peuplés de signes.
Mon niveau d’égotisme en a pris un sacré coup et je me suis retrouvée déléguée à la dernière place, celle considérée comme pouvant être écartée. Quoi qu’ils pensaient aussi pouvoir s’amuser à m’expulser sans ménagement sur un haut, très haut piédestal, à l’équilibre bien trop précaire, puisque ce n’était qu’une invention de leur part et me faire tomber de bien plus haut.
J’ai appris à aller à contre-courant, à ne pus céder à leurs chants. J’ai longtemps fait semblant. J’ai appris une nouvelle danse et j’ai écouté mon corps qui me chuchotait de m’éloigner.
Mon esprit s’est enfin connecté et l’alliance des deux a provoqué un rayonnement intense. Si intense que j’ai enfin ouvert les yeux et j’ai su préserver ma lumière en la scellant dans un royaume de pierre. Des murs entiers ajoutés aux mystères, et mon arme ultime, le mutisme. Une arme très efficace. Elle me protégeait des balles et des coups de couteau, émettaient des sons de larsen. Dans la cacophonie ambiante, je m’enlisais toujours plus, la terre s’immisçant dans les moindres interstices de mon être. Je voulais disparaître. Ne plus être à leurs yeux, ne plus rien entendre. Et si le quiproquo était visible et évident, j’étais malheureusement bien seule, éloignée de tous, usée par ma discrétion et mon aveuglement. Je m’effaçais pour ne plus ressentir.
J’ai cependant gardé les yeux ouverts, mon intérieur voyait tout. Mon corps en alerte, les gestes manqués, les automatismes. Un radar doté de fonctionnalités insoupçonnées…
Dans cette pagaille, je me suis relevée et j’ai posé mes yeux ailleurs. J’ai quitté leur spectacle de noirceur, j’ai disparu pour échapper à leurs griffes et je les ai laissé, seuls et démunis. J’ai quitté la scène si furtivement qu’ils ont confondu mes actes par de la violence. Leur propre violence se reflétant sur la scène vide du théâtre.
Je dois encore porter leurs casseroles pour ne pas faire de bruit et j’attends le jour où, tel un fracas assourdissant tout s’effondrera et la bête alors s’endormira à jamais.